En matière de santé psychologique, on pense souvent aux cercles vicieux dans lesquels on peut s'embarquer. Pensez à une situation de crise:
Il est 15h48. Votre patron vous donne en urgence un nouveau projet à finir pour... demain matin, 9h00. Vous devrez le présenter vous-même, devant le comité de direction. Or, vous ne connaissez pas les membres du comité de direction, vous n'avez pas reçu d'instructions claires sur les objectifs du projet et vous êtes loin d'être un expert de ce type de projets. De plus, vous êtes encore en probation dans ce nouvel emploi, et vous voulez bien paraître devant ceux qui décideront de votre avenir. Mais ce soir, c'était votre tour d'aller chercher votre petit à la garderie, qui ferme à 18h00. Votre conjoint(e) est à l'extérieur de la ville pour les deux prochains jours, et cela fait déjà 3 nuits où vous dormez mal...
Que ferez-vous? Vous risquez fort d'entrer dans une spirale de plus en plus étroite et limitée, guidée par des émotions telle que l'anxiété, la panique, le désespoir, l'insécurité. Stressé, vous allez devenir anxieux, avoir des sueurs froides, les mains moites, le coeur qui débat... Vous allez réagir en mode attaque-ou-fuit ("fight-or-flight"). Si vous "attaquez", vous allez passer en mode action-réaction et adopter un focus très étroit, en éliminant toute "distraction" qui pourrait vous faire dévier de votre plan de match. Le petit qui fait du bruit en jouant dans le salon vous énervera, vous serez agressif avec la belle-mère qui vous passe un coup de fil pour prendre des nouvelles: ils vous RE-TAR-DENT. Pas vrai?
Ce genre de réponse au "danger" est un des mécanismes qui a probablement permis la survie de l'espèce humaine à travers les millénaires. Mais les "dangers" que nous vivons dans notre société occidentale ont beaucoup changé, et le mode "crise" ne nous aide pas toujours... Surtout si, au-delà de simplement survivre, on veut s'épanouir et vivre plus de bien-être...
Et si l'inverse était possible? C'est ce que Barbara Fredrickson, chercheuse à l'Université du Michigan, a étudié en 2001, dans le courant de la psychologie positive. Se penchant sur le rôle des émotions positives, la chercheuse américaine a avancé que non seulement les émotions positives sont-elles des indicateurs de bien-être et de fonctionnement optimal, mais elles génèrent également plus de bien-être psychologique. Ainsi, "cultiver" les émotions positives est payant. C'est une fin, mais également un moyen d'atteindre plus de bien-être.
Dans sa théorie "Broaden-and-Build", Barbara Fredrickson avance que les émotions positives que nous ressentons ont la capacité 1) d'élargir ("broaden") momentanément notre répertoire de pensées et d'actions et 2) de construire ("build") nos ressources personnelles physiques, intellectuelles, sociales et psychologiques. C'est ce qui fait que lorsqu'on vit des émotions positives, on sera plus innovateur, plus enjoué, plus curieux, plus affirmatif et plus social, et donc on osera avancer des idées plus originales, on osera faire davantage d'essais et erreurs, on tissera davantage de lien avec les autres.
Et à travers nos nouvelles actions entreprises en "réponse" à nos émotions positives, on se construit de manière durable. On renforce nos liens sociaux, on développe le réflexe d'être plus actifs et plus ouverts vers les autres, on acquière de nouvelles connaissances. Ces mêmes ressources que l'on acquière peuvent même nous aider lorsqu'on sera confronté à un futur "danger": nous aurons un meilleur réseau social pour nous soutenir, nous aurons plus de résilience face aux obstacles, etc.
Comment mettre à profit la théorie "Broaden-and-Build"?
Cette théorie nous apporte plusieurs pistes d'intervention, selon moi. D'abord, pour augmenter notre bien-être, tentons de générer des émotions positives dans notre environnement. Elles entraîneront plus de bien-être, mais également plus de créativité, d'ouverture, d'audace et d'interactions sociales. Également, lorsqu'on traverse une période particulièrement positive, tentons d'en tirer le maximum et de l'apprécier pleinement, question de profiter au maximum de ses effets positifs. Enfin, même quand nous sommes en état de crise, on peut chercher à vivre des "micromoments" positifs, pour générer un peu d'émotions positives et ainsi contrecarrer les effets limitatifs qu'on subit lorsqu'on tombe en mode "fight-or-flight".
Qu'en dites-vous?
Pour en savoir plus:
Fredrickson, B. L. (2001). The role of positive emotions in positive psychology: The broaden-and-build theory of positive emotions. American Psychologist, 56(3), 218-226.
2 commentaires:
Super intéressant et très constructif comme pensée !
Ça me paraît en effet être une belle façon de tirer le meilleur des moments où on "surfe sur la vague" comme des moments où on tente tout simplement de "garder la tête hors de l'eau"!
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